Un chien qui parlait le langage des humains

 

 

Cette histoire-là met en scène un curé de la région de Montbard, un brave curé qui n'avait pas, comme on dit, inventé la poudre et était donc un peu naïf.

Il vivait avec sa servante Léontine et son chien Pouic. S'il se disait fort satisfait des services de la première, il était également très fier de l'intelligence du second, un chien à qui, avait-il coutume de dire, il ne manquait que la parole.

Le sacristain qui s'occupait de l'entretien de l'église était un curieux bonhomme d'une quarantaine d'années qui était malin, rusé et retors et, en flattant celui-ci, il arrivait toujours à obtenir de lui ce qu'il désirait. Il aimait aussi que l'on utilise à son égard non pas le mot de sacristain trop commun, mais celui de bedeau, et cela depuis qu'il avait appris, en fouinant dans la bibliothèque du presbytère, que ce terme signifiait, en vieux français, messager de justice .

Un gars un peu bizarre, on vous dit, mais le bon curé s'en accommodait. Un gars un peu, aussi, porté sur le jupon. Il lorgnait les femmes à la messe du dimanche, et plus particulièrement l'été, quand des Dijonnaises séjournaient au village. Plusieurs jeunes avaient en effet épousé des hommes de la grande ville et, au mois d'août, elles revenaient pour quelques jours chez leurs parents. Elles avaient de belles toilettes, elles étaient fardées, elles sentaient bon, et Oscar prenait plaisir à les voir et, parfois, à leur parler.

Il n'était jamais allé à Dijon, qu'il imaginait comme une ville de joie, de faste et de stupre. Il aurait bien aimé s'y rendre, mais une autre cité le fascinait encore davantage : Paris, où les femmes devaient être plus belles et plus lascives que partout ailleurs. Un de ses amis, qui y avait effectué une partie de son service militaire, lui avait dépeint la capitale comme le lieu idéal du plaisir des sens, et il lui avait dépeint la capitale comme le lieu idéal du plaisir des sens, et il lui avait même livré un nom, sésame permettant l'accès à tous les temples de la luxure : Pigalle.

Oui, mais comment faire, pour un bedeau de la campagne montbardoise, pour aller à Paris ? Et d'abord, ù trouver l'argent du voyage et du séjour ?

Ce fut le curé qui, grâce à Pouic, lui donna une idée.

•  Il ne lui manque que la parole, répétait-il à tout venant.

Un soir, alors que Léontine vaquait à ses occupations domestiques, et que Pouic, justement, mettait sa tête sur la cuisse d'Oscar en le regardant de ses bons yeux de chien fidèle, Oscar lui dit, en lui caressant le museau :

•  Mais oui, mais oui, tu as toutes les qualités, tu es beau, tu es gentil, tu es la meilleure des bêtes : il ne te manque, en effet, que la parole.

•  Ah ! s'il pouvait parler ! soupirait le curé.

Oscar avait préparé sa petite affaire depuis quelques jours déjà, et il sauta sur l'occasion :

•  Vous avez bien raison, monsieur le curé. S'il pouvait parler.

Un silence, puis, tout à coup :

•  Mais, au fait, j'y pense. Il me semble bien avoir entendu dire par un ami qu'il y a, à Paris, un dresseur de chiens qui leur apprend aussi à parler.

•  Pas possible ! As-tu l'adresse de cet homme ?

•  Oh non ! Mais je peux écrire à mon ami. Dès que j'aurai sa réponse, je vous en informerai.

Bien sûr, Oscar n'écrivit pas, mais il laissa passer quelque temps. Et un beau matin, juste après la messe, il vint voir le curé.

•  J'ai la réponse, et j'ai l'adresse. Il suffit maintenant d'emmener Pouic à Paris pour quelques jours.

•  Mais comment veux-tu que je fasse ? Je ne peux quand même pas abandonner ma paroisse et mes paroissiens.

Le visage d'Oscar passa de la joie à la vive contrariété.

•  Evidemment, je n'avais pas pensé à ça. Pauvre Pouic, qui aurait tant aimé apprendre à parler comme vous et moi ! N'est-ce pas, Pouic ?

Et le chien lui léchait les mains en remuant la queue et en fixant sur lui ses yeux pleins d'intelligence.

Oscar soupira profondément.

•  N'en parlons plus ! C'est bien dommage pour lui. et surtout pour vous, monsieur le curé. Un chien qui vous aurait tenu conversation et qui aurait fait l'admiration du village.

Le bedeau s'éloignait déjà, quand le curé le rappela.

•  Attends, j'ai une idée. Je ne peux pas partir, moi. Mais d'autres peuvent faire le voyage, et emmener Pouic. Le visage d'Oscar se hérissa de points d'interrogations.

•  D'autres ? Et qui donc ? Je ne vois personne dans le village qui puisse vous rendre ce service.

•  Moi je vois quelqu'un.

•  Et qui donc ?...

•  Toi !

•  Moi ?

Là, la physionomie d'Oscar exprima le plus total ahurissement.

•  Parfaitement. C'est toi qui emmèneras Pouic.

•  Mais je n'ai pas d'argent pour faire le voyage.

•  Je vais te donner ce qu'il faut.

•  Pour l'aller et le retour ?

•  Pour l'aller et le retour.

•  Et le séjour ?

•  Le séjour aussi. Combien ? Une semaine ?

•  Euh. oui, une bonne semaine. Il faut bien ça.

Le lendemain, le curé, qui avait vidé une partie de sa boîte en fer-blanc où il rangeait ses économies, remit à son bedeau un certain nombre de gros billets. Le surlendemain, il attelait sa carriole et emmenait Oscar et Pouic jusqu'à la gare desservie par la grande ligne Lyon-Paris, où il les mettait dans un wagon de troisième classe.

Lorsqu'il fut arrivé dans la capitale, Oscar s'enquit de deux choses : il demanda d'abord l'adresse d'un marchand de chiens, puis la direction du quartier Pigalle. Chez le marchand, il vendit Pouic, et en tira un bon prix en signalant toutes les qualités qui étaient les siennes. A Pigalle, il trouva facilement une chambre à louer au sixième sur la cour.

Pendant une semaine, il mena la grande vie, mangeant dans les bons restaurants, allant au théâtre, et surtout profitant des petites femmes qui savaient lui faire mille choses tarifées mais fort agréables.

A la fin de la semaine, il n'avait presque plus d'argent, et il dut écrire au curé. Il expliqua les énormes progrès faits par Pouic dans l'apprentissage du langage humain, et sollicita en même temps une nouvelle somme destinée à payer son séjour jusqu'à la fin, que l'on pouvait espérer assez proche, de ce stage canin.

Le bon curé accepta bien volontiers. Que n'aurait-il pas fait pour voir son Pouic s'épanouir dans ses nouveaux talents ? Il envoya la somme demandée. Elle arriva à Paris le jour même où Oscar avait dépensé son dernier centime : elle lui permit de continuer sa joyeuse vie durant une semaine encore.

Mais Oscar, pour coquin qu'il était, demeurait prudent, et il pensait bien que cette parenthèse allait se refermer. Quand il eut tout dépensé, à l'exception de l'argent pour le billet de retour, il quitta sa chambre de Pigalle et reprit le train.

Prévenu, le curé l'attendait à la gare avec sa carriole. Dès qu'Oscar fut descendu du train, il le serra dans ses bras et le remercia chaleureusement du service rendu. Puis :

•  Et. et Pouic ? Où est-il ?

•  Je l'ai laissé à Paris.

•  Ne parle-t-il pas fort bien, comme tu me l'as dit dans tes lettres ?

•  Fort bien, monsieur le curé, et il est même devenu très bavard. Figurez-vous qu'il expliquait à tout le monde, là-haut à Paris, ce qui se passait dans notre village.

•  Et alors ? Il ne se passe que des choses honorables, dans notre village.

•  Bien sûr, bien sûr. Mais quand même, il avait la langue trop longue, et il allait même jusqu'à dévoiler certains secrets. Si bien que j'ai dû le laisser chez le professeur de français.

•  Mais qu'est-ce qu'il disait donc ?

•  Il racontait. Il racontait. Ah ! c'est abominable. que vous couchiez avec la Léontine. Alors, vous comprenez, monsieur le curé.

•  Oh ! oui, je comprends, je comprends. Ah ! tu as bien fait, mon brave Oscar, tu as bien fait.

La carriole et le cheval attendaient toujours devant la gare. Les deux hommes montèrent dans la carriole, le cheval se mit en route, et ils ne dirent plus un mot avant leur arrivée au presbytère.

 

 

Extrait de Contes et Légendes de Bourgogne , Henri Nicolas.

 

 

 

 


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