La famille Jacquemart

 

 

Il y avait un grand-duc qui se nommait Philippe le Hardi, il n'avait que quatorze ans quand, à la désastreuse bataille de Poitiers, il était aux côtés de son père Jean le Bon.

-Père, gardez-vous à droite … Père, gardez-vous à gauche, disait-il en s'efforçant lui aussi de repousser l'assaut des Anglais.

Le roi lui donna, quelques années après, le duché de Bourgogne en apanage, et il le géra de façon remarquable.

Plus tard, Philippe prit une part importante au gouvernement de la France pendant la folie de son neveu Charles VI. En 1382, il dut aller guerroyer en Flandre, car la province s'était révoltée contre l'autorité royale. Une grande bataille se déroula à Roosebecke.

Philippe vainqueur poursuivit les Flamands jusqu'à Courtrai qui fut mise à sac.

Il fallait marquer de façon ostensible cette victoire, et le duc de Bourgogne fit enlever du beffroi l'horloge installé au sommet : il l'avait trouvée amusante, car elle était constituée par un personnage qui, grâce à un mécanisme astucieux, sonnait les heures.

L'horloge flamande fut transportée dans un char tiré par quatre bœufs blancs. Le voyage jusqu'à Dijon fut, on s'en doute, assez long et, comme les routes étaient à l'époque fort cahoteuses, la cloche se fêla. Lorsque le convoi arriva à destination, il fallut faire appel à un homme de l'art pour refaire une autre cloche, plus grosse.

L'horloge fut hissée sur l'église Notre-Dame. Il y eut, à cette occasion, de grandes fêtes, et le vin de Bourgogne coula dans les gosiers dijonnais.

Mais un jour, quelqu'un s'avisa que le sonneur n'avait pas de nom. Comment l'appeler ? Plusieurs noms furent proposés, et les discussions furent longues. Finalement le choix s'arrêta sur Jacquemart : c'était celui de l'horloger qui répara l'horloge, mais c'était aussi une déformation de Jacques, le sobriquet du paysan français.

Les années, les lustres, les décennies s'écoulèrent, Jacquemart rythmant imperturbablement les heures.

Mais n'est-il pas bien triste de demeurer célibataire ?

Certains Dijonnais s'en émurent. Certains au début du XVIè S., sous le règne du bon roi Henri. Celui-ci avait toujours une femme à ses côtés, prête à partager ses joies, et il donnait ainsi l'exemple à ses sujets. On adjoignit donc au sonneur solitaire une compagne, et on l'appela Jacqueline. Et tous deux, Jacquemart et Jacqueline, frappèrent sur la cloche.

Un couple c'est bien, mais un couple avec un enfant c'est encore mieux. Un siècle plus tard, ce fut Alexis Piron qui intervint à ce sujet. Il fit donc valoir qu'un fils serait hautement souhaitable pour le couple, et on fit droit à ce vœu : on hissa, à côté de Jacquemart et de Jacqueline, un petit Jacquelinet chargé de sonner les demies.

Ce n'était point suffisant : la famille était incomplète. Il fallut pourtant attendre encore un siècle et la Troisième République débutante pour que l'on adjoigne une petite sœur à Jacquelinet : on l'appela Jacquelinette, et elle sonne les quarts.

Et, depuis plus de cent ans, ils sont quatre à égrener, pour les Dijonnais, les heures gaies ou tristes de la vie quotidienne.

 

Extrait de Contes et Légendes de Bourgogne , Henri Nicolas.

 

 

 

 


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